Le parti des connards

Publié le par La Zitoune

"Le Parti Unanime n’est pas le parti d’une seule opinion, qui interdirait les autres. Ce n’est pas le parti unique, le parti unanime. 
Mais c’est le parti de toutes les opinions qui ont le tort de se prendre pour des vérités, et qui, à ce titre, cohabitent sans le savoir, et communient dans une violence qui transcende les partis… 
Pour devenir socialiste, il faut adhérer, en principe, aux valeurs de gauche. 
Pour devenir républicain, il faut adhérer, en principe, aux valeurs de droite. 
Mais pour avoir sa carte au Parti Unanime, il suffit d’être un connard, ou un zombie. Et des zombies, on en trouve dans tous les camps. 
J’appelle zombie (ou connard) quelqu’un qui, mort à la pensée, veut vous nuire pour la seule raison que vos opinions lui déplaisent. Quelqu’un dont l’énergie est consacrée à remplacer le débat (où l’on frappe au-dessus de la ceinture, à coups d’arguments) par un combat (où tous les coups sont permis, à commencer par les coups bas). 
C’est la raison pour laquelle mon seul adversaire, au cours de trois ans, n’était pas le dépositaire d’une opinion que je trouverais détestable, mais le dépositaire d’un comportement qui dépasse les opinions, d’une modalité haineuse du dogmatisme uniquement attachée à décrire l’adversaire comme un ennemi, à déduire ce qu’il dit de ce qu’on croit qu’il est, à discréditer son point de vue pour en éviter l’examen. 
Partant du principe qu’on décide avant de délibérer, le Parti des zombies interdit tout raisonnement en l’indexant sur une appartenance. Quand on met au pluriel le nom d’un parti dans l’espoir de réussir, du coup, à en écraser tous les courants, ou quand on fait au présent le procès du passé et qu’on exhume les vieux tweets de quelqu’un pour le réduire aux opinions qu’il a eues, c’est encore le PU. Tout comme, chaque fois que, pour échapper à une question, on dénie à l’interlocuteur le droit de la poser. 
Si vous critiquez le mot islamophobie, le PU vous traitera de raciste. 
Si vous défendez le maintien de ce mot, le PU vous traitera de salafiste. 
Si vous critiquez Israël, le PU vous traitera d’antisémite. 
Si vous défendez Israël, le PU vous traitera de sale sioniste. 
Si vous faites ingénument valoir que, tout en étant salutaire, « balance ton porc » expose aussi au déni de la présomption d’innocence, le PU ira jusqu’à fouiller dans vos archives pour démontrer qu’en réalité c’est le maintien du patriarcat qui dicte votre scepticisme… et ainsi de suite… 
Son seul but est de tuer le débat qu’il redoute. Et de transformer l’or d’un argument en plomb d’une opinion. Et le plomb d’une opinion en excrément d’une identité présumée. 
Le premier à avoir décrit le PU est Alexis de Tocqueville, au chapitre qu’il consacre à la tyrannie de la majorité dans "De la démocratie en Amérique". Voici ce qu’il dit : « Vous êtes libre de ne point penser ainsi que moi ; votre vie, vos biens, tout vous reste ; mais de ce jour vous êtes un étranger parmi nous. Vous garderez vos privilèges à la cité, mais ils vous deviendront inutiles ; car si vous briguez le choix de vos concitoyens, ils ne vous l'accorderont point, et si vous ne demandez que leur estime, ils feindront encore de vous la refuser. Vous resterez parmi les hommes, mais vous perdrez vos droits à l'humanité. » Ainsi fonctionne le Parti Unanime (que Tocqueville appelle "Tyrannie de la majorité") et qui est le seul tyran dont, à l’ère démocratique, nous avons à redouter la puissance."
Raphaël Enthoven

Le parti des connards

Publié dans Thèmes d'actualité

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article