Prépuce à dilater

Publié le par La Zitoune

Texte de Fabien

 

"Il me revient à la mémoire, tel un saumon agile et souple dans les flots des rapides d'une rivière de montagne, un souvenir prépubère que je m'en vais vous conter.

J'étais alors en 6e au collège Karl Marx de Villejuif, juste à côté de la piscine Youri Gagarine, dans ce qu'on appelait alors la banlieue ou ceinture rouge, du fait de sa proximité non dissimulée avec le régime communiste. Le mur de Berlin existait encore.
A l'époque, nous avions une visite médicale assurée par l'infirmière du collège. Nous nous y rendions munis de notre carnet de santé. La dame d'un certain âge aux grosses lunettes nous ordonnait de nous mettre en slip et, une main sur nos couilles, un œil sur le carnet et l'oreille sur la poitrine, nous interrogeait : avions-nous eu la varicelle ? Les oreillons ? Étions-nous bien vaccinés ? Nos testicules étaient-ils en place ? Nos dents brossées ? Nos pieds plats ? Notre taille en rapport avec notre poids ? Etc. 
Rien ne lui échappait. 
Embarrassé, je répondais "Heu..." à toutes ses questions. Je respectais bien plus le corps médical que l'enseignant à qui je mentais effrontément. Mais devant la Science, à quoi bon raconter des sornettes ?
Le jour de cette visite, nous étions convoqués tout le long de la journée, les uns après les autres, et si nous avions de la chance, nous pouvions rater un peu du cours de français ou de math, selon nos affinités. Au besoin, nous traînions dans les couloirs.
Mon tour arriva donc et je ratai le début du cours de dessin. Lorsque j'arrivai finalement en classe, Mme Reurer, ma prof, me demanda d'où je venais. De la visite médicale, lui répondis-je. 
Mme Reurer aurait pu en rester là et me dire de m'asseoir mais non, elle voulu voir la convocation que j'avais bien entendu perdue. Alors je lui tendis le document que m'avait remis l'infirmière à l'attention de mon père. Je ne l'avais moi-même pas lu. Mme Reurer le prit, ajusta ses lunettes devant la classe silencieuse qui nous observait et, à haute et intelligible voix, comme pour rendre plus lisible le gribouillis médical, annonça : 

"Prépuce à dilater."

Personne ne réagit.

L' embarras instantané de ma prof me gonfla d'orgueil et de fierté. Je pensai qu'il était dû à la gravité de l'information. Je compris là qu'il m'arrivait enfin un truc intéressant.Tandis que j'allai à ma place, mes camarades me regardèrent comme s'il s'était agi d'un stade 4 d'une maladie dégueulasse. Leurs yeux disaient "Oh, le pôôôvre".

Tout comme lorsqu'en CP, ignorant ce que voulait dire le mot "justesse", je répétais à l'envi "Je passe de justesse !", j'ignorais en 6e ce que voulait dire le mot "prépuce". 

J'informai donc rapidement tout mon entourage, avec la gravité qu'imposait ce diagnostic : "J'ai le prépuce à dilater".

Aujourd'hui, je me mets à la place de ma grand-mère, de cette grande-tante ou de cette voisine.Pensèrent-elles que j'attendais de leur part une assistance quelconque ? Un coup de main ? 

Quoi qu'il en soit, personne ne me vint en aide et c'est bien seul et sans conseil que je me suis soigné patiemment, assidûment, quotidiennement, durant toute mon adolescence. Un traitement au long cours qui a porté ses fruits : je suis guéri."

Prépuce à dilater

Publié dans Textes de Fabien

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