Carrie au bal du diable / Brian de Palma

Publié le par La Zitoune

Brian De Palma, réalisateur américain né en 1940, est considéré par beaucoup comme un maître du cinéma, une sorte de génie visuel. Sa première "création", appareil photo au poing, a consisté à prendre en filature son père infidèle ; ce fut un succès : ses parents ont divorcé suite à ses clichés ! Le thème du voyeurisme reviendra souvent dans ses oeuvres.

La marque de fabrique de ce metteur en scène, qui consiste à diviser l'écran en plusieurs parties (split screen), chacune pouvant montrer la même scène sous des angles différents, est excellente.

De Palma est un grand fan d'Hitchcock, comme en témoignent souvent ses thrillers, dans lesquels on retrouve des procédés ou des allusions à des films cultes du réalisateur britannique.

Le public (souffreteux) l'a parfois boudé après avoir été perturbé, déstabilisé, voire choqué par ses oeuvres, et les critiques (des chacals) ne l'ont pas toujours épargné. Ainsi, il a connu des fiascos financiers et des traversées du désert assez longues. 

En 1976, Brian De Palma adapte le premier roman de Stephen King : Carrie. Ce thriller fantastique sera un triomphe international. Certaines scènes et des procédés cinématographiques ont largement été imités par la suite. Carrie au bal du diable a reçu le Grand Prix du Festival d'Avoriaz en 1977 et été le premier grand succès commercial du réalisateur.

L'histoire. Carrie est une jeune fille rousse, aux yeux bleus, à la peau piquée de taches de rousseur, bien gentille, timide, coincée du bulbe, une nana pas comme les autres ; donc, d'entrée de jeu, on l'aime bien... alors que ses camarades de lycée en ont fait leur tête de Turc. Sa mère, une catholique hystérique ET obsessionnelle (oui Elisabeth, elle est les deux ! :-)), la maltraite psychologiquement en lui inculquant la haine des hommes, d'elle-même, et en l'enfermant dans un placard à la moindre contrariété, pour qu'elle se repente, en présence d'une statuette de saint Sébastien*. Cette bonne femme est terrifiante, on a envie de la pousser dans les escaliers pour qu'elle ferme son grand tabernacle. Sa dialectique de la culpabilité et du péché (originel) est à vomir des crucifix.

Dans les vestiaires, on assiste à la douche de Carrie, après une partie de volley-ball au lycée. La musique, les vapeurs d'eau chaude et le ralenti transforment cette scène en leçon de sensualité feutrée, suggestive ; puis, elle devient une séquence d'horreur lorsque l'adolescente découvre qu'elle saigne. N'ayant pas entendu parler des menstruations, elle hurle sous la douche en regardant ses mains couvertes de sang, sous les moqueries des autres lycéennes. Les images auraient pu être triviales, mais la mise en scène est celle d'un grand, et ça passe comme un Tampax à l'embout profilé.

Carrie sera sauvée par Miss Collins, prof de sport, qui la prend en affection et lui explique certaines choses de la vie, comme aurait dû le faire sa bigote de mère. Humiliée et meurtrie, Carrie reprochera à cette dernière de ne pas l'avoir informée de la réalité féminine (des ranianias quoi). En parallèle, elle se découvre un don de télékinésie, que sa génitrice fanatique et timbrée associera à la puberté diabolique, à la possession démoniaque, bref, à une oeuvre du diable.

Sue culpabilise d'avoir fait partie des harceleuses dans les vestiaires. Pour se racheter, elle incite Tommy - beau gosse du bahut - à inviter Carrie au bal de promotion. Pensant qu'il se moque d'elle, celle-ci s'enfuit en courant, puis, devant son insistance, accepte de l'accompagner. Elle confectionne elle-même sa robe et se maquille, sur les conseils bienveillants de Miss Collins. Les commentaires sur ce couple improbable vont bon train, mais Tommy - un gentil garçon, touché par la candeur de Carrie - s'en moque.

Carrie, désireuse de se rendre au bal avec Tommy, utilisera son pouvoir surnaturel pour tenir tête à sa tyrannique daronne et inverser le rapport de forces, en la plaquant à plusieurs reprises sur un lit, juste en la regardant. Elle revendique son droit à la "normalité". La scène est incroyable, fille et mère mangent à table, devant une gigantesque reproduction de la Cène (dernier repas du Christ avec ses apôtres, avant d'être trahi par Judas).

La soirée dansante se passe bien, Carrie rayonne, Tommy semble sous le charme. Mais c'est sans compter sur Chris : une vipère haineuse et diabolique, une gosse de riches sans foi ni loi. Interdite de bal pour avoir malmené Carrie, elle décide de se venger et monte un plan machiavélique, avec l'aide d'un gus un peu idiot (ce sont les débuts de John Travolta). Chris s'arrange pour que Carrie et Tommy soient élus roi et reine du bal et, alors qu'ils reçoivent leur prix sur scène, leur lâche un seau de sang de porc sur la tête !

Sue avait découvert le stratagème, mais Miss Collins, par méprise, l'a empêchée d'intervenir et jetée dehors. Le spectateur sait ce qui va arriver, à la différence des deux tourtereaux. Nous voyons le seau sur la poutre, la corde tenue par Chris et son gus idiot, le regard de Sue qui comprend le guet-apens, celui de Miss Collins qui pense que Sue prépare un mauvais coup, le visage angélique et souriant de la reine du bal, de son cavalier servant non moins lumineux. La façon de filmer, au ralenti, tient en haleine. C'est très bon !

Tommy, assommé par le seau, gît sur le sol. Carrie ne rayonne plus, elle ruisselle de sang de porc, sa robe rose est rouge. Dans une colère noire, les poings serrés, elle entre dans une sorte de transe et s'imagine que les gens rient d'elle - alors que la plupart sont consternés, comme l'avait prédit sa mère. Les scènes suivantes vont atteindre un paroxysme dans la violence. La jeune fille utilise la télékinésie pour massacrer tout le monde, après avoir fermé portes et fenêtres, grâce à sa seule pensée. Une réponse à la hauteur de son humiliation ; celle de trop.

Chris et son gus ont eu le temps de sortir de la salle en feu, mais ils croisent la route de Carrie ; dommage pour eux, la mise à mort est sans appel, ils font plusieurs tonneaux en voiture.

Carrie rentre chez elle et doit affronter Cruella d'Enfer, sa mère indigne. Celle-ci la poignarde dans le dos alors qu'elle réclame un câlin de réconfort. Finalement, la sorcière est crucifiée par sa fille, qui lui transperce le corps et les mains à coups de couteau, toujours par la seule force de sa volonté, sans bouger; la ressemblance entre la vieille taupe cloutée et la statuette de saint Sébastien est saisissante. Carrie périt dans l'incendie de la maison, le corps inerte de Folcoche dans ses bras.

Sue, seule survivante de la tragédie, entre alors dans une profonde dépression et cauchemarde en hurlant : le bras ensanglanté de Carrie sort de terre et l'attrape. Le son strident illustrant cette scène n'est pas sans rappeler celui de Psychose.

Une oeuvre fidèle au roman de Stephen King, une réputation on ne peut plus méritée, une brochette de très bons acteurs, une manière de filmer unique, marquante, une mise en scène musicale impeccable, des couleurs qui saturent l'écran et laissent un arrière-goût de sang (de porc ?) dans la bouche.

* Sébastien est un saint martyr romain, tué lors de persécutions au début du IVe siècle. Il est souvent représenté attaché à un poteau, le corps transpercé de flèches.

Pôv bête ayant servi dans ce film.

Pôv bête ayant servi dans ce film.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
L
Pas vu, mais je vais y remédier :-)
Répondre
E
Faut pas croire, je passe! D'ailleurs j'ai écouté "corbeau blanc" une nuit d'insomnie. Puis dans la foulée je me suis fait un replay de Julien Doré à Alcaline le mag. Faut que je pense à te laisser<br /> des petits cailloux, à être moins égoïste, à partager... Le loup de Wall street, le fond est à vomir mais j'ai adoré la démesure du film... Shutter Island est génial, cela avait été une grande<br /> claque : 3 ans après il m'arrive d'en reparler, on n'est pas tous d'accord sur l'interprétation de la fin. Des personnes ne peuvent pas envisager la noirceur... Et que dire des Infiltrés, un grand<br /> souvenir aussi. Vu avec Brigitte à l'entrepôt. Il y a un siècle il me semble! Je devrais me le repasser le DVD. Et Tarantino?! J'espère que tu n'as pas manqué Django unchained. Bises ma poule
Répondre
E
Comme toujours on en apprend beaucoup en te lisant, ma belle, et tes mots sont un enchantement. Merci aussi pour la spéciale dédicace;-) Par contre, beurk, ce film ne me tente pas. J'avais vu<br /> Passion cela m'avait bien plu, bonjour la manipulation mais point ou peu de sang. L'impasse aussi mais aucun souvenir; ma tête est une passoire! Et Scorcese tu en penses quoi? Moi j'adore.
Répondre
L
<br /> <br /> Coucou ! Ca me fait toujours plaisir quand tu passes. Il y a plein d'articles à commenter depuis le temps... Oui, j'aime bien Scorsese aussi, pas le dernier avec Léonardo (Le loup de Wall<br /> Street - j'ai pas aimé) mais Raging Bull ou Les Affranchis oui. Là, tout de suite, je vais regarder un Bergman, c'est trop bien ! Bisous ma poule et commente aussi les<br /> articles plus anciens... ça me fait trop plaisir !!! <br /> <br /> <br /> <br />