La légende des feuilles

Publié le par La Zitoune

L'auteur de ce texte tient à garder l'anonymat pour des raisons assez obscures dois-je dire...

Bel arbre 

Chez nous les feuilles, une légende se raconte de génération en génération. Cela vous semble une éternité… mais ne savez-vous pas que chez les caduques, une génération ne représente qu’une seule année ?

Bon... laissez-moi vous conter cette légende dont je fus l’héroïne éphémère - moi, la petite feuille bien verte tout juste sortie de son printemps.

Je vivais tranquillement baignée de soleil et alimentée en sève fraîche à mi-hauteur de notre cher arbre-mère. Mes sœurs et moi avions pour jeux de chatouiller un oiseau de passage, retenir une goutte d’eau dans nos nervures et la sentir frémir sur le limbe au gré du vent. Ah le vent, oui le vent…, le sentir nous caresser et rire avec lui en de tumultueux bruissements, quel délice !

Vous l’aurez compris, j’étais une jeune feuille comblée. Jeune… pas plus que mes semblables, nous étions toutes nées au printemps.

Oh il y avait bien cette vieille feuille un peu racornie sur une branche voisine, qui à notre naissance nous avait rabâché quelques sermons sur notre jeune âge et sur l’hiver passé...  mais elle s’était tue et personne ne s’en plaignait.

L’été se déroula tranquillement, sereinement. Nous observions la nature et la faune locale vivre pleinement les beaux jours.

La sève se faisait moins forte et la sagesse nous gagnait mes sœurs et moi. Nous prenions quelques teintes plus ocres et notre vert éclatant de jeunesse se faisait plus doux et pastel.

Tout au bout de notre mère, les feuilles sommitales discutaient entre elles, inaccessibles. Depuis toujours, elles se comportaient un peu différemment de nous, se croyant - de par leur hauteur - enclines à nous commander.

Elles nous expliquèrent que l’automne approchait et qu’il nous fallait nous parer de feu et de couleurs flamboyantes. Elles nous dirent que notre arbre-mère nous y aiderait naturellement. Nous devions nous réjouir de cette belle transformation car elle préfigurait une grande aventure : le moment où pleines d’expérience nous prendrions notre envol vers le sol. Un moment intense, un vol plané, une délivrance, un plaisir de voir notre arbre-mère depuis l’humus s’élancer en majesté vers le ciel.

Embellies de nuances jaunes et rouges, nous étions fatiguées par les premiers froids et  notre mère était lasse de nous nourrir. Ainsi, nous étions prêtes.

Quelques-unes  de mes amies proches avaient déjà eu le plaisir de choir en un gracieux ballet. Mon heure n’était pas encore venue, mais je m’y préparais sans peur, déterminée à ce que mon envol soit réussi.

Mais il ne devait pas en être ainsi.

Par un beau matin de brume - vous savez quand celle-ci s’attarde dans les vaux mais que le ciel est bleu... une bénédiction pour nous les végétaux qui frémissons de bonheur dans l’humidité ambiante - le Conseil de nos feuilles les plus élevées s’adressa à moi en des termes inquiétants :

Feuille de la onzième branche, cinquième rameau, sixième pétiole. Oui toi ! l’arbre-mère t’a choisie et elle te nourrira aux temps froids. Tu as une mission capitale pour sa survie : tu devras toi-même survivre aux gels, aux vents glacés, au grand manteau blanc. Ainsi, quand la sève reviendra aux beaux jours, tu enseigneras aux feuilles hautes le cycle des saisons et combien il est capital qu’une feuille transmette de nouveau ce savoir après toi.

Ne sais-tu pas qu’un arbre qui n’a plus aucune feuille est un arbre condamné ? Il ne passera pas l’hiver si le savoir de la feuille s’éteint ; c’est donc un grand hommage pour toi. La lutte te sera dure, tu seras mal perçue par les jeunes pousses, toi la ridée décharnée, mais tel est ton devoir. Le Conseil a confiance en toi.

En mon esprit s’imposa le souvenir de ma naissance et de sermons vaguement entendus... de cette vieille folle qui, définitivement, s’était tue.

La boucle allait se boucler et je tiendrais... pour mes sœurs, pour notre mère, pour un nouveau cycle...

N’étais-je pas l’élue ?

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M
<br /> Merci La Zitoune....mais comment ne pas être modeste et anonyme quand on est en présence d'une telle Hôtesse.....<br /> <br /> Et merci Léo de ton compliment, il me touche beaucoup<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Ce texte est très bien écrit. L'auteur a un vrai talent (tout comme maman !!!!!!!).<br /> <br /> Bravo, la petite histoire est très amusante !! J'ai pris beaucoup de plaisir à la lire.<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Merci mon petit chéri... Tu me flattes !<br /> <br /> <br /> <br />