Tippi

Publié le par La Zitoune

Une femme, très élégante, marche sur le trottoir de Gif-sur-Yvette* en faisant des petits pas assez ridicules, comme une geisha. Elle ressemble à Tippi Hedren dans "Les oiseaux", avec son tailleur vert d'eau et son chignon bouffant des années 60. Je me suis toujours demandé si les femmes de cette époque dormaient assises pour ne pas se décoiffer. Puis j'ai repensé à la laque mégacollante de ma grand-mère, dans une grande bombe mordorée. Une madeleine de Proust odorante. C'est au moment de monter dans l'autobus que la bombasse peroxydée se rend compte que sa jupe est vraiment trop serrée. Elle ne parvient pas à lever la jambe à plus de 15 cm du bitume, cette patate douce. À moins de relever le tissu tout en haut de ses cuisses potelées ou de perdre 3 kg sur-le-champ (allô, Bernard Canetti ?), elle ne va pas pouvoir accéder au marchepied, c'est certain. Le chauffeur s'impatiente. Il joue un air de metal avec ses doigts sur son immense volant recouvert d'une moumoute synthétique, mais il mate la gironde derrière ses verres fumés. Il l'encourage avec une voix glaireuse : "Allez ma p'tite dame, on y va maintenant ! On grimpe !". Gonzo, le Muppet bleu électrique, pendouille tristement au rétroviseur, désabusé par tant de vulgarité. Tippi, quelque peu stressée, passe ses mains manucurées dans son dos et descend un peu la fermeture Éclair de sa jupe-camisole, mais ce n'est pas assez. Elle recommence la manœuvre plusieurs fois en se contorsionnant. Mais rien n'y fait, elle ne parvient toujours pas à monter dans ce satané transport en commun. Tous les passagers la regardent, les hommes plus que les femmes. Disons que les femmes l'observent tandis que les hommes l'imaginent. C'est alors qu'elle sent deux mains se plaquer sur ses hanches rebondies et qu'elle décolle du tarmac pour atterrir délicatement à l'intérieur de l'autobus. Elle se pose comme une fleur, sur ses talons hauts, avec stupeur mais sans tremblements, les ailes bien déployées et les deux réacteurs dans l'axe. Les passagers applaudissent à tout rompre. Le chauffeur chante du Metallica ("Enter Sandman") debout sur son fauteuil à ressorts. Outrée, Tippi pivote et se met à hurler. Le silence s'impose. Seul un loup enroué lui répond, au loin (peut-être Christine Boutin..., mais c'est peu probable, ça fait si longtemps qu'elle n'a pas vu le loup). Elle traite son agresseur de tous les noms et - tenez-vous bien - le compare même à Pascal Praud ! Le summum sur son échelle des Insultes, c'est dire son degré d'énervement. Puis elle fait mine de lui balancer son sac Vuitton (archimoche) dans la tronche, lorsque le type arrête son geste à mi-parcours et lui dit, en tenant fermement son poignet :
"Dites donc vous... vous venez de jouer avec ma braguette sans ma permission... alors je pensais que l'on se connaissait suffisamment pour que je vous aide à monter dans ce bus, non ?!".


* Quelqu'un sait qui est ce Gif ? Depuis le temps, il est peut-être mort...


Illustration de Fabien, qui progresse grave ! 😁

Tippi

Publié dans Lys

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