Les hommes parfaits

Publié le par La Zitoune

Les hommes bien rangés socialement rapportent du boulot à la maison le week-end, annulent leurs congés quand il y a une urgence, se donnent corps et âme pour leur entreprise, ne renversent pas du café en poudre tout autour de la machine quand ils la programment, ne cherchent jamais leurs lunettes, leurs clefs ni leur téléphone, ne se roulent pas par terre quand les Italiens marquent un but et ne traitent jamais l'arbitre de fils de pute. Ils baissent la lunette des toilettes, ne disséminent pas leurs chaussettes autour du lit en se prenant pour le Petit Poucet, ferment les tiroirs, accrochent leur veste à la patère et n'enjambent pas l'aspirateur en lui disant "Pardon Monsieur !". Ils n'écrivent pas "Je t'aime" dans la poussière sur les meubles ni sur le pare-brise de leur voiture, ne se matent pas torse nu et bombé dans le miroir de la salle de bain après une séance de musculation en salle, en se tapant le poitrail comme un gorille. Ils savent monter un meuble sans insulter cette putain de notice mal traduite et n'entament pas le moonwalk pour un oui ou pour un non. Ils éteignent systématiquement la lumière en sortant d'une pièce et ne laissent jamais moisir le linge mouillé dans le tambour de la machine à laver. Ils ne parlent pas en dormant et se lèvent frais comme des gardons à peine la sonnerie du réveil enclenchée. Ils n'écoutent pas des musiques melliflues au petit déjeuner, ne filent jamais chercher le courrier en caleçon troué et ne dansent pas la macarena en sortant de la douche en tenue d'Adam et parfumés par Hugo Boss. Ils dosent. Ils mesurent. Ils tempèrent. Ils ne restent pas dehors en pleine nuit pour essayer de voir la Voie lactée et une soucoupe volante, ne parlent pas avec une voie aiguë à leur chien en employant le subjonctif imparfait et ne s'endorment pas devant le film en faisant des bulles avec la bouche après avoir insisté pour le regarder. Ils portent des mocassins à glands, s'épilent sous les bras, ne chopent pas les mouches en plein vol pour les fracasser sur le carrelage en hurlant comme un All Black, gèrent leur budget en bons pères de famille et sont toujours rasés de près. Ils sont prévisibles, sans surprise, là où on les attend. Jamais ils ne rentreraient plus tôt avec une bouteille pour fêter un non-événement ou une date qui ne représente rien. Ils ne se laissent pas attendrir par un enfant, un animal ou une situation. Ils sont forts, des durs à cuire, des bonshommes. Leurs larmes sont de sang ou ne sont pas. Ils ne font pas des visioconférences en chemise bien repassée et le Q à l'air, assis en tailleur, et n'utilisent pas leur temps de télétravail pour potasser les ouvertures aux échecs, les derniers films à voir sur Netflix ou feuilleter le dernier "Fluide glacial". Ils ont un plan de carrière - eux, les dents qui rayent le parquet et des ambitions pécuniaires. Ils ne vivent que pour la retraite. Leur conduite est souple, détendue et jamais il ne leur viendrait à l'idée de traiter en riant un autre automobiliste de face de pet ou de gouine à camionneuse, parce qu'il ou elle lui suce trop le train en ligne droite. Ils sont adultes, matures, responsables, prévoyants, organisés, disciplinés, dociles, polis et comptables dans l'autodérision comme dans la taquinerie complice, parce que trop point n'en faut. Ils gèrent. Ils assurent. Ils comprennent mieux que personne le premier degré. Ils relativisent. Ils pèsent leurs mots, ne se laissent pas aller aux fous rires intempestifs et contrôlent leurs élans. Ils filtrent. Ils sécurisent. Ils ne veulent pas perturber leur entourage en changeant de programme au dernier moment pour un week-end en amoureux dans un endroit magnifique, car mieux vaut savoir où l'on va dans la vie et limiter les prises de risques au maximum. Ils ne vivent pas l'instant présent, ils thésaurisent, épargnent, capitalisent, rentabilisent, mettent en perspective, objectivisent et n'ont que des copains comme eux, qui prennent tout très au sérieux parce qu'ils ont le sens du devoir chevillé au corps et le dos large. Ils ressemblent à une dictée de Bernard Pivot qui aurait forniqué avec un Grevisse.
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Et il y a eux. 😁🥰

Les hommes parfaits

Publié dans Lys

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