Canardo

Publié le par La Zitoune

Le type bouge dans tous les sens. Il a des yeux ronds légèrement exorbités et des cheveux gominés d'une autre époque. Sa voix tire des phrases comme une mitraillette. Déjà au téléphone, je l'avais trouvé surexcité. En plus de son côté "je ne la ferme jamais", il a un sens de la repartie que l'on pourrait qualifier d'humour de merde. De bonnes grosses réflexions grasses et sexistes, jetées sur l'interlocuteur comme on se mouche la morvelle en passant du froid au chaud. Et, cerise sur le gâteau, il parle du nez !!! Ses mots semblent rester coincés entre ses yeux, comme emprisonnés derrière une vitre. Je ne suis pas ORL, ça se saurait, mais cet homme semble souffrir de rhinolalie. Le mucus obstrue son perchoir à oiseaux et ses cavités nasales congestionnées ne jouent plus leur rôle de résonateur. Les sons émis ressemblent à la voix nasillarde de Titeuf.
Ça fera 80 euros, merci, au revoir.

 

Gédéon balance les informations à toute vitesse. Les questions obtiennent des réponses partielles après plusieurs tentatives. 

 

Qu'est-ce qu'il est pénible ! Fouilla ! 

 

Je l'imagine assis sur un canapé, les genoux écartés, penché au-dessus de la table basse, une carte bleue parfaisant une ligne de coke, un billet de 5 euros roulé dans l'autre main.
Machinalement, je regarde son blair. Je ne vois aucune trace de farine mais des touffes de poils, et une petite crotte de nez verdâtre qui pendouille. On dirait une alpiniste qui aurait dévissé. Mon Dieu ! La vie de la pauvrette dépend d'une poignée de vibrisses !

 

On imagine son parcours : l'ascension des sinus, le passage de la cloison de l'enfer, le goulet des végétations de la mort, puis le rapide dans la cavité nasale. Et la chute, l'impossibilité de planter son piolet dans le cartilage septal, et les longues minutes d'attente, pendue dans la broussaille humide, au-dessus du vide ou au bord des narines. Un éternuement, une épistaxis (les règles du pif), une rhinorrhée et ce serait la débandade. Sans compter la terreur, l'effroi de finir son parcours au fond d'un Kleenex ou au bout d'un doigt, et parfois dans la dent creuse d'un mucophage.

 

C'est l'un des désavantages d'être de petite taille. Je vois bien trop à l'intérieur des gens. Les naseaux des grands n'ont souvent pas de mystère pour les naines. Que le nez soit grec, camus, aquilin, busqué, en trompette, en bec de canard (c'est pour lui ça !), gros et épaté (coucou mon chéri !) ou je ne sais quoi encore, j'ai souvent l'équivalent des places de théâtre les plus chères, juste devant la scène, aux pieds des acteurs ; d'où l'expression faire un pied de nez. 😬

 

Alors que j'étais perdue dans l'étude du microbiote nasal de ce type antipathique et des bactéries qui y pullulaient forcément, je reçois le coude de Fabien dans les côtes :
- Il te plaît cet appartement ou pas ?!
- Absolument pas ! 
- À moi non plus... Il ne correspond pas du tout au descriptif...
- Tu m'étonnes ! 
Le type aux yeux de grenouille shootée à la Maïzena entend malgré nous et se vexe :
- Ah bon ? Et j'beux saboir bourquoi il vous blaît bas ?! demande-t-il avec une incroyable mauvaise foi (de canard laqué).
- Je sais pas... j'le sens pas..., ai-je répondu en fixant la croûte de nez poussiéreuse en pleine varappe, avant qu'elle ne disparaisse brutalement et fort bruyamment dans un grand mouchoir en tissu à carreaux (beuarrrrkkkk !).

 

Entre naine et narine, il y a un bout de rien de différence...et les cloisons de l'appartement ne me semblaient pas en meilleur état que les cloisons nasales de notre Anatidé. 🤪

Canardo

Publié dans Portraits

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